Au temps des villas romaines

Nous devons beaucoup à nos ancêtres romains. Nous connaissons toutes et tous l’histoire de la conquête de la Gaule par Jules César, elle appartient à notre mémoire collective. Et nous retenons qu’il avait dit que « de tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves. » Bien sûr, Jules César voulait surtout dire que la Gaule Belgique, qui s’étendait alors du Rhin à la Seine et qui était bordée par la forêt d’Ardenne, était la région la plus sauvage, la plus rurale, la plus reculée, et donc celle aussi qui comptait les guerriers les plus redoutables… mais nous garderons l’adjectif « brave », qui est plus élogieux.

La Gaule était un grand territoire, plus grand que la France. Il était alors peuplé par des millions de Celtes, peut-être une dizaine de millions. Les Romains installés en Gaule, eux, n’étaient que quelques centaines de milliers. Pour administrer cet immense territoire – l’une des plus importantes conquêtes de Rome -, les Latins vont construire un réseau de routes, de forts et de domaines qui entourent la Gaule, laissant le centre du pays, les zones campagnardes, aux habitants d’origine celte.

Nous sommes les héritiers de la cohabitation de ces deux populations, et de bien d’autres qui s’installeront par la suite sur nos territoires, notamment les populations germaniques. La langue que nous parlons encore aujourd’hui, le français, est dérivée du latin. Petit à petit, en deux millénaires, la langue que parlaient les Romains a évolué, s’est métissée au contact du Gaulois et du langage des Francs.

Nous retrouvons cette trace de notre héritage latin en de nombreux endroits de notre commune, qui était traversée par la voie reliant Arlon à Tongres, un des axes de communication importants à l’époque. Cette voie romaine était protégée par des ouvrages de défense, comme la tour romaine du Rang sur le vicus (une petite agglomération sur colline) de Warnach, le long de voie romaine, à proximité de l’actuel parc à conteneurs. Elle était également jalonnée de domaines agricoles, les villa rustica, qui ont donné leur nom à certains de nos villages. L’étonnante concentration de villas romaine dans notre région vient  du fait de son appartenance au bassin de la Moselle et donc aussi des voies de pénétration par cours d’eau à partir de la ville impériale de Trêves, sans oublier la proximité d’Arlon, une des premières villes romaines du Pays.

Les villas étaient d’importants domaines agricoles, organisés autour d’une grande habitation centrale, souvent richement décorée, celle du maitre, qui donnait son nom au domaine. Le travail dans les champs était assuré par des ouvriers agricoles, soit des paysans pauvres soit des esclaves, qui accomplissaient toutes les tâches les plus difficiles.

La villa comprenait des dépendances, des greniers, des écuries, des étables, en fonction du type d’exploitation. Ces domaines, qui assuraient l’approvisionnement de l’empire via le commerce, étaient la propriété de citoyens romains. Les soldats se voyaient ainsi remercier de leur carrière au service de la patrie par un domaine qu’ils pouvaient exploiter et qui assurait leur subsistance pour leur retraite de la vie militaire.

La villa de Mageroy, à Habay, est un bon exemple de ce à quoi pouvaient ressembler ces domaines.

Dans notre commune, la villa romaine la plus importante était sans doute celle du Hahnebour, située à Fauvillers à l’arrière et en contrebas de la ferme Simon. Elle a été fouillée en 1872 par son propriétaire, M. Urbain, qui avait reçu à l’époque 500 francs pour effectuer ses recherches. Sur place, il retrouve des briques, des tuiles, des débris de poterie, un morceau d’amphore, un manche de poignard, un strigile en laiton – objet qui servait à se nettoyer le corps -, divers morceaux de cuivre et d’argent, et surtout une statuette en grès jaune de la déesse Fortuna, qui est aujourd’hui aux Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles. Des statuettes similaires, munies d’une corne d’abondance, ont été découvertes à Tongres et témoignent d’un culte, dans nos régions, de la Fortune, déesse du hasard et de la chance.

Les fouilles, notamment de l’abbé Sulbout, ont également mis en évidence la présence d’un aqueduc enterré, qui provenait sans doute de la fontaine Sainte-Marguerite et qui alimentait le domaine. Cet élément tend à prouver que la villa devait être étendue et que ses besoins en eau, liés peut-être à l’élevage, étaient importants.

Aux IVe et Ve siècles, quand les peuples germaniques commencent à s’installer en bordure puis à l’intérieur de l’Empire romain, certains colons venus de l’autre côté du Rhin reprennent les domaines tenus autrefois par les Romains. Ce sont souvent eux qui ont fondé les villages qui gardent encore aujourd’hui leur nom.

Ainsi, selon certaines étymologies, Honville est la villa d’un colon germanique prénommé Huno, et Fauvillers, celle d’un colon du nom de Feido ou Feito. Une autre hypothèse, pour Fauvillers, ferait remonter le nom du village au latin fagus : le hêtre, c’est-à-dire la villa du hêtre.

Parfois, le mot villa a disparu, laissant la place à un terme d’origine germanique – ING, qui signifie « l’habitation, la demeure » et qui évoluera en – ANGE. Ainsi, Tintange serait le domaine d’un certain Tinto, Bodange celui de Bodo (de « biev » ou « buv » qui désigne la vache, il peut donc s’agir d’un surnom qui désignait le propriétaire d’un élevage), ou, pour nous intéresser à une commune limitrophe, Radelange serait le domaine de Rado ou Redo, Martelange serait le domaine de Martilius, ou un domaine rattaché à Saint Martin…

Les anciens domaines romains réoccupés par les Francs  sont devenus plus tard les domaines mérovingiens dans lesquels se sont « coulés » les domaines paroissiaux ; ainsi le cas de  Sainlez  dont le nom initial connu était villa Sinlaris (la villa de Sinlare) et qui fut le lieu d’implantation de la première «  église-mère »  sur l’actuel territoire de la commune de Fauvillers au tout début du 9e siècle. Nous le voyons, les noms propres qui nous sont aujourd’hui familiers ont une histoire et témoignent du passé de notre région.

 Pour le Cercle d’Histoire, Roger Kauffmann, Hans Welens et Nicolas Stilmant.

Sources :

  • PCDR de la commune de Fauvillers 2005-2015
  • Alain Rey, Frédéric Duval, Gilles Siouffi, Mille ans de langue française, éditions Perrin.
  • Franz Clément et Anne-Sophie Henon, Légendes de la Haute-Sûre, éditions Memor.
  • http://www.roemerkeller-oberriexingen.de/ (au 15 novembre 2015)
  • www.villamageroy.com
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