Le «vieux château» de Bodange

Si l’on en croit les légendes qui sont parvenues jusqu’à nous, Bodange a été un haut lieu de la chevalerie médiévale.

D’après le Wintergrün, recueil de contes et légendes publié en 1890 par Nicolas Warker, les chevaliers de Bodange étaient des êtres diaboliques, qui commettaient des méfaits sanguinaires et terrorisaient la campagne. Pas plus haut que deux pieds (environ 60 centimètres), ils ferraient leurs montures à l’envers pour semer les poursuivants. Dieu perdit patience devant les exactions de ces châtelains qui avaient pactisés avec le diable et envoya des étrangers pour les passer par le fer et brûler leur château. A moins que ce ne soit les autres seigneurs du coin qui ne se soient ligués contre eux, ou encore les villageois qui les ont écrasés sous leur pont-levis.

Les légendes ne sont pas d’accord sur le sort de ces chevaliers. D’ailleurs, il existe encore une autre version de l’histoire, consignée par l’abbé Charles Dubois dans « Vieilles choses d’Ardenne ». Dans cette version, seul Sigomer, le seigneur païen et germanique de Bodange, est cruel, sa fille, Berthrame est une jeune dame charmante. Elle se rend régulièrement à l’église de la Misbour pour y prier. Là, elle rencontre Titus, le seigneur de Warnach, un jeune homme courageux et chrétien, comme elle. Sigomer ne supporte par leur romance, s’en suit une déclaration de guerre, la perte de Titus, la destruction du château et la mort tragique des amants…

Si vous vous demandez où se situe ce vieux château, vous n’aurez pas trop loin à chercher puisqu’une rue porte son nom. Si vous poursuivez le chemin qui remonte le village de Bodange, vous allez arriver à hauteur d’un petit promontoire qui surplombe la Sûre, situé dans une propriété privée, et que vous pourrez observer depuis le chemin.

Exemple de reconstitution d’un fortin en Allemagne

Si c’est bien là que se situe le vieux château (Am Alt Schlass), l’histoire nous invite à être prudents. Plutôt qu’une forteresse médiévale, il s’agissait sans doute plutôt d’une motte féodale, une fortification assez modeste. Il est possible que cette motte ait été bâtie à l’emplacement d’une fortification plus ancienne :  une tour de guet ou un castel romain.

En effet, le long des frontières de l’empire (les limes) et des voies de communication, les Romains avaient érigé un solide système de défense, afin de les protéger des incursions des Germains, que l’on retrouve dans les légendes.

Voici comment l’Abbé Césaire Sulbout, de Strainchamps, le décrit suite aux fouilles qu’il y effectua en 1874 : « Ce fortin consistait en une tour ronde d’un diamètre de 15 pieds, construite en maçonnerie cimentée de chaux et gravier (…) défendue par deux fossés pointus (…) Un escalier coupé dans la roche donnait accès à l’enceinte, s’abouchant à un pont donné sur la Sûre. » Il devait certainement ressembler à cette reconstitution située au mont Taunus, en Allemagne, mais présentait une forme circulaire.

Ces ouvrages défensifs étaient disposés à distance régulière et communiquaient entre eux par des signaux de fumée en cas de menace ou d’attaque.

Il est somme tout assez logique que Bodange ait abrité un ouvrage de ce type, vu sa position clef pour l’accès à la vallée de la Sûre. Le village porte encore aujourd’hui les marques de la dernière guerre et des combats héroïques qui s’y déroulèrent. Les fortins érigés au XXe siècle sont encore visibles. Il n’y a pas lieu de douter que le village était déjà stratégique à l’époque antique, puisqu’il était traversée par une voie de communication importante (cf. : précédant article).

Est-ce que cela signifie que Bodange n’a pas connu de Seigneurie médiévale ? Que du contraire. Des armoiries existent encore, qui pourraient être celle d’une famille seigneuriale, et le centre du village abrite encore les traces de la Seigneurie du XIVe siècle, qui comprenait notamment une ferme et une chapelle, dont le mobilier fut transféré dans une chapelle castrale, dont le mobilier fut transféré dans la chapelle Sainte-Barbe actuelle, construite en 1852.

Voici ce que disaient les abbés Balter et Dubois de cette famille seigneuriale :

En 1329 on trouve trace d’un certain Jacques, sire de Montaclair, écuyer, propriétaire de biens, censes et rentes à Bodange et Wisembach.

« En 1408, la famille qui habite le château a pris le nom du village, les « de Bodange ». Château et Seigneurie passent ensuite en diverses mains, soit par mariage, héritage ou achat : de Bodange (jusqu’en 1489), de Dave (16ème), de Dave de la Margelle (17ème-18ème), d’Everlange (1750), Van der Straten de Waillet (1763-1787) et de Gerlache (1787-19ème). Les biens de la seigneurie furent mis en vente en 1801 (le 17 fructidor de l’an XII), après le décès survenu le 29 fructidor de l’an IX de J-B de Gerlache, dernier Seigneur de Bodange. Du château reconstruit en 1719, il ne reste aujourd’hui que la belle grande maison agricole située le long de la Sûre, peu après le pont, à gauche, en venant de Warnach. »

Pour le cercle d’histoire,

Roger Kauffmann, Hans Welens et Nicolas Stilmant.

Sources :

  • Franz Clément et Anne-Sophie Henon, Légendes de la Haute-Sûre, Bruxelles, Memor, 2003.
  • Charles Dubois, Vieilles choses d’Ardenne, La Roche-en-Ardenne, éditions Éole / Cercle d’Histoire et d’Archéologie de la Haute-Sûre.
  • Nicolas Warker, Wintergrün, Bastogne, Musée en Piconrue, 2003.
  • www.wiesel.lu
  • www.nationalgeographic.fr
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