« Il est interdit de cracher par terre et de parler breton. »
Certaines rumeurs prétendent que cette affiche était visible dans les écoles de Bretagne aux débuts de la république, en France. Que ce soit vrai ou non, cette histoire témoigne d’une réalité bien tangible, elle. Dans l’Europe de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle, la question des langues va prendre de l’importance, souvent au détriment des parlers régionaux et en entrainant parfois des rivalités dont nous payons les frais encore aujourd’hui.
Au moment de la révolution française, on estime que seul un quart des français parle la langue de Paris et du Roi. Le reste de la population parle des patois ou langues régionales.
Mais durant le XIXe siècle, de grands empires se constituent en Europe, qui vont avoir besoin de se centraliser autour d’une langue forte. C’est ainsi que le français, l’allemand, le castillan, par exemple, se généralisent et deviennent la langue d’un pays.
Malheureusement, la diversité linguistique connaitra, elle, un déclin important. Il n’est pas bien vu de pratiquer une langue régionale ou étrangère : parler la langue nationale, c’est être patriote, c’est respecter la loi… Une seule langue est enseignée à l’école. Pire, une seule langue est tolérée dans les lieux publics, et tous ceux qui ne parlent pas français sont marginalisés.
Ce mouvement que connait la France, la Belgique le vivra également, avec la complexité qui lui est propre.
Quand la Belgique nait, en 1830, elle se choisit deux langues nationales : le français et le néerlandais. Se choisir une seule langue aurait été un risque. En effet, la Belgique ne veut être rattachée ni à la France, ni aux Pays-Bas. La logique de l’époque veut qu’à chaque pays corresponde une langue. La Belgique n’a pas de langue propre, elle s’en choisit donc deux pour bien marquer sa différence.
Dans les faits, le français est la langue internationale du début du XIXe siècle. Elle est parlée dans les cours européennes, par l’aristocratie et la grande bourgeoisie. C’est le cas aussi en Belgique, où le français est la langue dominante.
La population, quant à elle, pratique les parlers régionaux, des patois wallons, lorrains et picards dans le sud, et des patois flamands proches parents du néerlandais dans le nord. L’unification linguistique va donc se faire petit à petit, mais l’élite belge, qui pratique le français, ne se rend pas compte que si le français s’impose au sud de Bruxelles, c’est plutôt le néerlandais qui s’impose au nord. Le néerlandais ne sera reconnu que tardivement, donnant ainsi naissance au mouvement flamand et aux tensions linguistiques que nous connaissons encore aujourd’hui.
Pourtant, une langue, c’est une culture, une manière de dire les choses, de voir le monde. Chaque langue est riche et apporte un regard particulier sur ce qui nous entoure. Hector Bianciotti, auteur d’origine argentine et membre de l’Académie française, a écrit qu’il lui était arrivé d’être désespéré dans une langue et à peine triste dans une autre, tant, pour lui, la langue que l’on parle influe même sur notre état d’esprit.
Chaque langue qui disparait est donc la perte d’une manière unique de ressentir le monde. Chaque rencontre d’un nouveau langage est un enrichissement. La Bible illustre cela par l’histoire de la tour de Babel. Un peuple unique, parlant une seule langue, construit une tour pour s’élever jusqu’à Dieu. Dieu, nous dit l’ancien testament, décide d’introduire la diversité et les peuples se répandent alors sur la terre. Rester confiné à une seule langue, c’est rester confiner à une vision du monde.
C’est dans cette logique qu’entrent les tentatives actuelles pour sauvegarder les parlers régionaux. Le Musée de la parole, à Bastogne, réalise ainsi un travail exceptionnel, collectant les témoignages et publiant les écrits des auteurs de la région, en français, mais bien entendu aussi en wallon, parler qui est aujourd’hui sur le déclin et qui est un patrimoine à sauver.
Le Musée de la Parole en Ardenne a été fondé en 1982 par Michel Francard. Il se donne trois objectifs : collecter des témoignages sonores, publier le patrimoine linguistique et littéraire régional (en wallon comme en français) et former les jeunes, les familles à ces questions, en collaboration avec les acteurs culturels de la Province.
La revue Singuliers, un hebdomadaire, assure la diffusion de textes de poètes et d’auteurs wallons de par chez nous. Le Musée assure également la diffusion d’une collection littéraire, Les Paroles du Terroir. Quelques auteurs fauvillersois ont vu leurs écrits publiés dans ce cadre, c’est notamment le cas de Jean-Marie Lhote (dans Scrîjeûs d’ Ârdène) ou de notre ancien bourgmestre, René Georges (Le rêve brisé ou Comme un grain de sable…).
Nicolas Stilmant.