La présence romaine dans notre région a profondément bouleversé le paysage de nos campagnes, en façonnant de nouvelles voies d’accès, de nouvelles routes, auxquelles se sont greffés des chemins secondaires. En effet, dès la conquête de la Gaule, les Romains ont ressenti le besoin de faciliter le mouvement et la mobilité sur cet immense territoire. Il leur fallait donc un réseau de voies de communication. Sur les bords de ces routes, les villages sont devenus des bourgs et parfois des villes.
Notre commune a bien connu ces voies romaines, puisque notre territoire était traversé par la route reliant Tongres à Arlon, et au-delà à Metz. Deux voies se croisaient sur notre territoire. Voici ce qu’en disait l’abbé Dubois dans « Parcs Nationaux Ardenne et Gaume » 1949 volume 4 (les parenthèses sont des précisions de notre main) :
La chaussée Metz-Tongres : « cheminant en Forêt d’Anlier, bien conservée sous le nom de Vieux Pavé, sur un haut plateau, jusqu’aux campagnes de Wisembach, au-dessus de la vallée de la Sûre, vers laquelle elle dévale par le chemin de Wisembach à la Forêt, en dessinant finalement un grand S. Elle franchit la Sûre à gué un peu à l’Est du village, se dirige vers la halte du vicinal (ancien arrêt du tram)et grimpe sur le plateau de Warnach, laissant à droite le chemin rural (l’actuel chemin agricole) de Wisembach et croisant celui (la route) de Bodange à Warnach.
De biais elle va franchir la Route de Bastogne (N4) près de quelques maisons bâties sur l’emplacement de l’ancien Vicus routier (hauteur du parc à conteneurs) et se maintient sur le plateau, d’abord à droite de la Grand-route, puis à gauche, va se buter contre les fermes de la Malmaison et se poursuit jusqu’aux approches de Sainlez (de Warnach à Sainlez, elle suit pratiquement le tracé de la N4). Ici elle vire à gauche pour descendre dans la vallée de la Stranche (à hauteur de l’actuel échangeur).
La chaussée Bavai-Trèves : « venant de la halte de Chaumont (ancien arrêt du tram) elle traverse Hollange, passage de la Stranche, traversée la chaussée Arlon-Tongres et de la route Nationale Arlon-Bastogne (à hauteur de l’actuel tunnel sous la N4), Honville, Moulin Besseling, frontière du Grand-Duché ».
Ces chaussées ont été construites au milieu du 1er siècle, à l’époque où Arlon se développe – le cimetière de la haute cour de justice, « Hochgericht » témoigne dès les années 50 de notre ère d’une romanisation rapide et d’une richesse croissante. C’est l’époque de l’empereur Claude.
Le long de ces voies romaines s’installent des relais pour les chevaux, des auberges, des boutiques, des ateliers d’artisans. Toute la vie économique de la région est organisée autour de ces voies rapides – en tout cas, rapides pour l’époque… Au IVe siècle, l’empereur Sylvain fait l’aller-retour entre Milan et Cologne en 28 jours, soit 70 kilomètres par jour. Certains coursiers pouvaient parvenir à couvrir près de 200 kilomètres sur une journée… Mais les vitesses pouvaient être bien plus modestes pour peu que les voyageurs (et leurs montures) soient chargés.
Les voies romaines étaient construites pour durer. Les fondations étaient drainées, grâce à des fossés parallèles, puis étaient empierrées. La base était couverte de sable et d’argile, puis venait enfin le dallage qui devait résister au passage du temps. Cette construction en strates (stratum) a marqué le langage de plusieurs langues, comme l’anglais street ou le néerlandais straat qui, tous deux, veulent dire « rue ».
L’Empire romain était très organisé et les lois y étaient déjà strictes, à l’image de celles que Justinien édictera au Ve siècle pour l’empire d’Orient : « Le propriétaire est tenu de maintenir en bon état la voie publique sur laquelle donne son édifice et de curer les caniveaux […] Propriétaires et locataires ne doivent pas tolérer que l’on se batte sur la voie publique, qu’on y vide des pots de chambre ou qu’on y jette des cadavres ou des peaux d’animaux. » (Justinien, Digeste)
Mais ne nous y trompons pas, la voie Arlon-Tongres était une voie rapide, c’est surtout autour du réseau secondaire que les villas gallo-romaines et les hameaux de l’époque se sont développés.
De manière générale, ce sont surtout les centres urbains qui se sont romanisés. Les campagnes sont restées majoritairement de culture et de langue gauloise. Pendant quatre siècles, c’est une situation de bilinguisme qui a survécu. Les gens employaient le gaulois à la campagne et le latin en ville, pour faire des affaires.
Cela a laissé des traces dans notre vocabulaire. Beaucoup de termes de la campagne sont d’origine gauloise : le mouton, le blaireau, l’alouette, le soc, la charrue, la bruyère, la charpente, le talus, la lande, la berge, le sillon, la jachère… Ainsi le mot « ruche » est d’origine gauloise, par contre « miel », le produit fini, vendu dans les marchés des grandes villes, est d’origine latine. En effet, il valait mieux employer le mot latin pour vendre sa production le long des voies de passage.
Ces chaussées que l’on devine encore sur les hauteurs de Wisembach, Warnach ou Strainchamps, ou dans la vallée à Hollange, ont donc eu une importance capitale dans notre histoire.
Pour le Cercle d’Histoire,
Roger Kaufmann – Hans Welens – Nicolas Stilmant
Sources :
- Jacques André, Hedwige Goffin et Dominique Bertrand, Arlon. Vicus gallo-romain, Namur, Érasme, 2002.
- Groupe de Recherches Aériennes du Sud Belge
- Les Chercheurs de la Wallonie
- Alain Rey, Frédéric Duval et Gilles Sioufi, Mille ans de langue française, Paris, Perrin, 2007.
- J.C. McKeown, Rome. Un cabinet de curiosités, Paris, Alma, 2012.